Intervention de Serge Dassault, en séance publique, sur la loi de finances pour 2015:
« M adame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous dire que le projet de loi de finances pour 2015, présenté par le Gouvernement, est trop optimiste. Le Premier président de la Cour des comptes, M. Migaud, vous l’a déjà dit. Vous n’obtiendrez ni une croissance de 1 %, ni les recettes fiscales que vous espérez, ce que je regrette d’ailleurs.
Le FMI prévoit en effet une croissance de 0,7 % pour 2015, ce qui signifie une diminution de 4 milliards d’euros de recettes pour l’État. Je ne parle même pas des 3,5 milliards d’euros de réductions d’impôts, sans économies correspondantes, que vous avez décidées pour les faibles revenus !
Je vous rappelle que vous aviez prévu, en novembre 2013, dans le projet de loi de finances pour 2014, un déficit de 3,6 % ; il sera en réalité cette année de 4,4 %, si ce n’est plus. Avec des économies totalement hypothétiques, le déficit pour 2015 sera certainement plus élevé que prévu. Vous prévoyez aujourd’hui qu’il se monte à 4,3 % l’année prochaine. Nous ne sommes qu’en novembre 2014 : il pourrait donc très bien se situer autour de 5 % dans un an, ce qui serait catastrophique !
Je vous l’ai déjà indiqué, il serait plus judicieux de faire des hypothèses basses pour la croissance ; vous seriez ainsi plus près de la réalité.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, la réduction de nos déficits et le retour de la croissance sont une urgence absolue. Ces deux objectifs ne sont pas incompatibles ; il faut les réaliser en même temps. Tout d’abord, ce n’est pas en augmentant les impôts que vous obtiendrez la croissance ; c’est au contraire en les diminuant, tout en réduisant de façon équivalente, bien sûr, les dépenses de fonctionnement. C’est d’ailleurs ce que demande la Cour des comptes, que vous ne voulez pourtant pas écouter. Au lieu de cela, en effet, vous continuez à augmenter les dépenses, en embauchant 60 000 fonctionnaires de plus.
Vous prévoyez un effort d’une ampleur inédite, selon vous, de 50 milliards d’euros d’économies sur trois ans. Toutefois, la seule économie réelle passera par la réduction de 11 milliards d’euros des dotations aux collectivités territoriales ; vous semblez oublier que vous leur avez imposé une dépense importante supplémentaire avec la réforme des rythmes scolaires, dont elles ne voulaient pas, d’ailleurs. Tout cela les mettra en grande difficulté.
Les 9,6 milliards d’euros d’économies sur la protection sociale pour 2015 sont des réductions espérées de dépenses. Elles concerneront surtout les hôpitaux et passeront par l’optimisation de la dépense hospitalière, avec notamment le développement de la chirurgie ambulatoire et une action sur le prix des médicaments, qui sont pourtant loin d’être encore réalisés. Quant à la réduction des dépenses de l’État, d’un montant de sept milliards d’euros, elle n’est pas véritablement documentée.
Depuis maintenant trop longtemps, la France vit au-dessus de ses moyens. Il y a quarante et un ans que les gouvernements de gauche, comme de droite, n’ont pas voté un budget en équilibre, considérant que les emprunts étaient une ressource illimitée de financement! C’est très pratique, bien sûr, mais c’est catastrophique. Ils sont tous responsables de notre situation financière dramatique. Vous n’êtes donc pas les seuls responsables, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État ; il y en a beaucoup d’autres!
Alors qu’elle était de 110 milliards d’euros en 1981, notre dette atteindra un montant supérieur à 2 000 milliards d’euros en 2015, soit près de 97 % du PIB. Où va-t-on ? Elle continuera à augmenter à raison de 70 à 90 milliards d’euros par an en raison de nos déficits successifs. Nous entrons dans un cercle infernal, qui paralysera toute notre économie. Pour 2015, la charge de la dette réduira nos recettes fiscales de 44 milliards d’euros, et peut-être de beaucoup plus si les taux d’intérêt augmentent.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous et vos prédécesseurs, de gauche, comme de droite, avez passé votre temps à expliquer aux français que, grâce à vous, tout allait s’arranger bientôt. Vous dites qu’il y a des frémissements, que la croissance va augmenter et le chômage diminuer grâce au pacte de responsabilité, au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, ou à d’autres mesures ronflantes, mais sans aucune efficacité – pardonnez-moi de vous le dire –, comme les emplois d’avenir et les contrats aidés, qui coûtent tout de même très cher.
La France doit faire plutôt comme le Canada, qui était dans la même situation que la notre, il y a quinze ans, et qui s’en est sorti. Les ministres canadiens ont compris qu’il fallait totalement changer de politique financière et ont largement informé leur opinion publique des dangers qu’ils couraient, au lieu de les bercer d’illusions. La réalité est ce qu’elle est, et rien ne pourra la changer; il faut s’y conformer.
Concernant le chômage, il faudrait que nos responsables politiques et nos syndicats comprennent que, si les entreprises ne peuvent pas licencier lorsqu’elles auront moins de travail, elles n’embaucheront pas et sous-traiteront à l’étranger. Le chômage continuera alors à augmenter en France. Les emplois à vie, qu’il faudrait d’ailleurs supprimer, n’existent que pour les fonctionnaires.
Il faudrait également que les entreprises puissent recourir à des contrats de mission, comme aux États-Unis, où les embauches ne sont soumises à aucun délai et dépendent du travail à réaliser.
La croissance, quant à elle, ne viendra pas tant que l’on n’aura pas supprimé les impôts sur les patrimoines – l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune– et baissé le taux des impôts sur le revenu et les dividendes, qui continuent à faire partir à la fois nos investisseurs et nos jeunes diplômés. Il n’y aura bientôt plus en France que des fonctionnaires, des chômeurs et des retraités. Ce n’est pas comme cela que l’on va développer notre économie !
Voilà, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, où nous conduit votre politique. Les personnes talentueuses et les jeunes quittent la France et la vident de son avenir ; ils désertent notre pays pendant que votre gouvernement continue d’espérer une croissance qui n’arrivera jamais, du moins s’il ne prend pas les mesures nécessaires.
Parmi ces mesures indispensables, il faudrait modifier notre fiscalité. Je vous propose de transformer l’impôt progressif en un impôt égalitaire – cela devrait vous plaire ! –, prélevé à la source, avec le même taux pour tous les revenus, comme pour la CSG – cela marche très bien ! –, et de supprimer un certain nombre de niches fiscales. Il vaut mieux en effet que l’État prélève moins d’impôts et laisse les contribuables assumer eux-mêmes leurs dépenses.
Ce système s’appelle la flat tax ; il est utilisé en Russie, à un taux de 13 %, et dans d’autres pays. Cette opération tendra à augmenter à la fois le pouvoir d’achat – les gens auront moins d’impôts à payer – et les capacités d’investissement de tous. On arrêtera ainsi l’hémorragie des talents et des entrepreneurs ; la croissance repartira.
J’espère, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que vous ferez étudier par vos services la mise en œuvre de ce dispositif, qui a déjà fait ses preuves. Vous montrerez ainsi que, en réduisant les impôts, on peut augmenter les ressources de l’État, à condition que tous les contribuables paient.
En attendant, j’attire votre attention sur quelques augmentations d’impôt et diminutions de subventions que vous voulez appliquer. Tout en étant de faible montant, elles compromettront un certain nombre d’activités.
Vous voulez tout d’abord supprimer l’indemnité de départ à la retraite de petits artisans et de commerçants. Cela concerne 1 330 personnes, pour une économie de seulement 12 millions d’euros. Je défendrai donc un amendement tendant à rétablir cette indemnité en faveur de ces artisans qui, eux, travaillent certainement plus que 35 heures.
Vous voulez ensuite prélever 175 millions d’euros sur le fonds de roulement des agences de l’eau, au profit du budget général de l’État. Or, par cette mesure, vous faites peser un risque sanitaire pour les consommateurs, vous mettez en danger la préservation de l’environnement et vous augmentez la facture d’eau des particuliers. Je soutiendrai un amendement tendant à supprimer ce prélèvement irresponsable.
Vous voulez également baisser de 713 millions d’euros le budget des chambres de commerce et d’industrie, ou CCI. Cette mesure fragilisera grandement notre tissu économique. Je soutiendrai donc l’amendement cosigné par les membres de l’UMP visant à réduire ce prélèvement.
Vous voulez enfin affaiblir les chambres d’agriculture en prélevant 45 millions d’euros sur leur budget, alors que, parallèlement, l’État leur délègue de nouvelles missions. Je suis également cosignataire d’un amendement du groupe UMP visant à limiter ce prélèvement.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement s’attaque aux forces vives de ce pays et aux personnes modestes – j’y insiste –, et ce pour un gain minime sur les dépenses publiques.
Pour conclure, le projet de loi de finances que vous nous présentez me semble insincère, et je ne suis pas le seul à le penser. Je vous rappelle que les Allemands ont voté cette année un budget à l’équilibre. Ils ont même dégagé un excédent de 16 milliards d’euros. Ces bons résultats sont le fruit de réformes courageuses menées par le gouvernement social-démocrate de M. Schröder, dont vous devriez vous inspirer.
La bonne politique n’est ni de gauche ni de droite ; la bonne politique, c’est celle qui marche ! Sortons des batailles idéologiques stériles qui nous mènent à la ruine. Il faut arrêter de « faire payer les riches », qui partent investir ailleurs, ce qui sape la croissance et aggrave le chômage en France.
Mettez en place avec tous les salariés une participation active qui leur permette de toucher une rétribution égale aux dividendes des actionnaires. C’est ce que j’applique moi-même dans mon entreprise, Dassault Aviation, depuis plus de vingt ans. Ce sera la fin de la lutte des classes, puisqu’il y aura une coopération.
De grâce, agissons ensemble pour sortir de la spirale de l’endettement avec des déficits budgétaires qui tuent notre économie. Cessez de vous faire des illusions et de croire au père Noël ; il n’existe pas. Retrouvons-nous autour d’une politique d’union nationale, pour faire de la France un pays prospère pour tous.
J’espère que le Gouvernement suivra ces conseils, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État. »
Serge Dassault